Cela fait quelques jours seulement que je suis rentré mais j’éprouve déjà la sensation d’être débordé par les événements. Juliet peut honnêtement en dire autant, et m’appelle à l’aide assez tragiquement pour tout ce qui concerne Ophelia. Ma fille est assez difficile à comprendre et à suivre, et cela n’a rien d’étonnant quand on sait que la plupart des membres de la famille l’accusent à raison sans doute, d’avoir hérité du caractère de son père. Secrète et intelligente ma fille n’en reste pas moins difficile d’accès pour les autres quand au contraire nous avons toujours eu cette relation assez fusionnelle qui a toujours facilité nos échanges à une époque ou je ne voyageais sans doute pas autant qu’aujourd’hui. C’est sans doute ce qui tue cette famille, et je dois avouer qu’ils me manquent tous. Je frappe à la porte d’Ophelia et appelle. « Ophelia, c’est papa, je peux entrer ? » « Oui. Biensûr. » J’entre, sans la brusquer, et m’installe sur la chaise de son bureau en affichant un léger sourire ému malgré moi. Discuter, c’est pour ça que je suis là, mais égoïstement, la seule chose dont je me sens capable c’est de prendre ma fille dans mes bras, ce que je n’ai pas eu l’occasion de faire depuis des semaines. Je remonte un peu mes lunettes, mais ne m’exécute pas cependant, lui laissant le choix, finalement mû par une certaine angoisse du rejet que je n’avais pourtant jamais ressenti avec elle. « Tu m’as manqué. » Je laisse cependant l’information franchir la barrière de mes lèvres avec timidité. 
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Quand je me trouve avec ma mère, je ne peux pas m'empêcher de lui en vouloir et de me montrer désagréable, de lui faire payer ma punition et à peu près tous mes malheurs. Avec mon père, c'est complètement différent. Au fond, je lui en veux aussi un peu, après tout il est tout autant responsable, mais ça ne dure jamais bien longtemps et je n'arrive pas tellement à lui montrer, parce que c'est sûrement le seul membre de cette famille qui me comprend. Avec Violet, bien entendu, mais on ne fait qu'un toutes les deux, entre jumelles c'est évident qu'on ne peut que se comprendre. Du coup, à part quelques petites remarques occasionnelles, c'est vrai que je lui fais assez peu de reproches. En revanche, il y une chose pour laquelle je lui en veux beaucoup, mais que je n'admettrai probablement jamais à haute voix, parce que ce n'est pas de la colère que j'éprouve, c'est de la tristesse. Je suis blessée qu'il nous laisse aussi souvent pour partir en voyage. Il me manque terriblement, et j'ai peur qu'un jour notre famille finisse complètement brisée. Après tout, entre maman toujours en tournage aux quatre coins du monde, et papa qui ne reste jamais bien longtemps à la maison, nous n'avons presque plus de moments où nous sommes réunis. Enfin bon, pour une fois, c'était le cas. Depuis quelques jours, tous les Howard étaient à la maison. Ma présence n'était guère étonnante, puisque j'étais toujours privée de sortie. Celle des autres ne durerait probablement pas. Pour le moment en tout cas, j'étais partagée entre ma joie de les avoir à la maison, et ma déprime à l'idée de ces journées entières sans possibilité de sortir ou d'approcher d'un écran - je dois avouer que malgré tout, je ne souhaitais absolument pas qu'ils repartent et préférais les avoir à la maison, même si cela signifiait devoir subir cette punition, mais je ne l'affichais pas devant eux, sait-on jamais peut-être qu'à l'usure je les convaincrai de se montrer plus cléments envers moi -. En attendant ce petit miracle, je me contentais donc d'une feuille et d'un crayon pour essayer de réfléchir et commencer à écrire le nouveau programme que j'avais en tête, quand quelques coups à la porte suivis d'une voix interrompirent le tranquille silence dans lequel était plongée ma chambre. « Ophelia, c’est papa, je peux entrer ? » Je rangeai rapidement mes affaires dans mon tiroir et attrapai à la place le livre posé sur ma table de chevet. Si je voulais un jour revoir mon ordinateur, mieux valait qu'ils ne me voient pas faire quoi que ce soit qui se rapporte de près ou de loin à de l'informatique. J'étais contente d'avoir l'occasion de passer un peu de temps avec mon père, toutefois je répondais avec un enthousiasme modéré. « Oui. Biensûr. » Je ne pouvais décemment pas sauter dans ses bras alors que j'étais enfermée ici par leur faute à tous les deux et que j'étais clairement en froid avec ma mère depuis. Les sentiments ne se contrôlent pas et je n'y peux rien si je lui en veux beaucoup moins pour ça, mais ce ne serait vraiment pas juste si je n'étais pas un minimum fâchée. Installée sur le lit, je le regardai prendre place à mon bureau, me demandant la raison de cette visite dans ma chambre. Ma mère l'avait sûrement envoyé, pensai-je avec un brin d'amertume, étant donné la gentille discussion que nous avions eu la veille... Un peu perdue entre mon envie de lui sourire, de lui sauter dans les bras et de lui demander de me raconter son voyage, et celle de lui faire payer son absence, je ne disais rien, me contentant de l'observer. Il affichait un léger sourire, que je ne saurais interpréter, tandis que Violet, elle, lui adressait un regard chargé de toute sa tristesse de son absence, que j'étais pour ma part incapable de lui montrer. Mon père aussi semblait hésitant, presque mal à l'aise, alors que d'habitude, tout semblait si naturel entre nous.. ça me faisait de la peine de voir que maintenant, on ne savait même plus comment entamer une conversation alors qu'avant, nous nous comprenions à demi-mots. Et puis à quoi bon venir me voir si c'était pour s'asseoir là sans rien faire, autant rester loin dans ce cas, ça revient au même. Je lançai un regard noir à Violet, à deux doigts de pleurer, et qui ne m'aidait décidément pas aujourd'hui, puisque je tentais tant bien que mal de rester impassible, tiraillée entre mes émotions contradictoires. Toutefois, je revenais rapidement à mon père, d'une part parce que ce n'était vraiment pas le moment de discuter de Violet, et ensuite, parce qu'il s'était finalement décidé à parler, ou du moins à émettre quelques sons ressemblant à un « Tu m’as manqué. ». Avant que je ne puisse réagir, j'entendis un discret murmure : toi aussi, franchir les lèvres souriantes de Violet. Ce qui n'était pas faux en soi, il me manquait terriblement. J'avais envie de réagir comme elle, de lui dire qu'à moi aussi il m'avait manqué, d'aller me réfugier dans ses bras pour pleurer comme quand j'étais petite et qu'il me réconforte, mais j'en étais incapable, j'étais peut-être trop blessée, peut-être qu'au fond j'étais un peu en colère, je ne sais pas, j'avais trop d'émotions d'un coup pour les disséquer. Une boule dans la gorge, je lui répondis : « Ce n'est pas moi qui suis partie. », le regrettant presque aussitôt. Je savais que j'allais le blesser avec ces mots, et ça me faisait mal au coeur à moi aussi, mais apparemment je lui en voulais plus que je ne l'avais suspecté. Je clignais légèrement les yeux, sentant que des larmes commençaient à s'y former.

u.c.